La première page


Elle entend. Jeanne. C’est Jeanne L’Étang. Elle arrive. Des feuilles humides. De la terre. La forêt. De l’air. Un cri. Celui de Jeanne L’Étang, née un jour d’octobre 1856. Pluie de feuilles, pluie de sang, pluie de cris. On la prend. On la débarrasse des feuilles. On la serre contre la bouche. « Jeanne ! Ma Jeanne ! » On la mouille de sang et de salive. On la nettoie. À coups de langue, entre « Jeanne ! » et « Jeanne ! » Lever les petits bras, nettoyer, là aussi, plis du cou, jambes cerceaux, poings virgules, cheveux noirs. Les yeux, longuement. Jeanne s’envole au bout de deux bras, plonge sous la robe, rencontre la peau. Appliquée. Transférée. Jeanne L’Étang a chaud. Elle s’endort contre Dora, Dora sa mère. Un sein au-dessus de ses cheveux noirs.
On est à l’abri ici.
Il fait chaud.
            Maman court vers la maison. Jeanne dans son ventre. Jeanne est son ventre. Dora écrase les feuilles, caresse sa robe. Jeanne L’Étang respire à peine. Un autre cri accueille Maman. Pas un cri, un hurlement. Maman est attrapée, violemment ; Maman tirée, poussée, jetée, Jeanne L’Étang recroquevillée contre sa peau. Le souffle de sa mère s’est accéléré, sa voix implore :
- Mais Maman !
Maismaman crie. Un bruit sourd. Une porte qui claque. Une clé qui se tourne.



Jeanne L’Étang, Bruit Blanc, 2013







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