Cesare Lombroso



Depuis des années je rêvais de visiter la collection de Cesare Lombroso.
Aujourd'hui je l'ai vue.
Les photos n'étaient pas autorisées, mais je peux décrire.
Dans ces salles anciennes se poussent et se serrent des squelettes, des rangées de crânes, les moulages en cire des têtes de trente cinq hommes guillotinés, des instruments de mesure, des catalogues de tatouages, de portraits de criminels, de physionomies, des armoires de preuves - couteaux, crucifix, poisons, cordes, masques ...
A partir de ce complexe assemblage d'os, de sang, de muscles et de neurones, Cesare Lombroso tentait d'élaborer une théorie et une pratique, s'évertuait à classer, à comparer, à répartir l'inné, l'acquis, le fou et le normal, le criminel et  l'innocent.
Je pénètre dans les salles abritant ceux qui m'attendaient : fous et criminels, femmes et hommes enfermés, et leurs objets créés à l'asile et en prison. 18e et 19e siècles. Aujourd'hui dans mes yeux, mes nerfs, mes os, mon sang.
- le bonnet de nuit en crochet. L. ne pouvait se réconcilier avec la nuit qu'en enfonçant ce long masque blanc sur son  visage. Il descend jusqu'aux épaules. Deux ouvertures sont pratiquées au niveau des yeux. Un surplus de fils se rabat dessus. L'autre ouverture, qui se ferme par un unique bouton, est pour la bouche. L. devait parfois vouloir parler avec  ses fantômes, ses apparitions, ses tortionnaires, ses gardiens.
- de minuscules fagots de cartons. Les trésors de G. Carrés, rectangles, lamelles. Tout petits paquets de cartons découpés, liés par une ficelle.
ce besoin de lier
d'attacher
d'ordonner
de maîtriser
carton bleu délavé
carton jaune sépia
des messages sans mot sans signature sans destinataire. Muets et parlants. Des monticules. Des réserves.
Tiennent dans le creux de la main
- les écailles d’œufs de T. tracées de lignes sinueuses. Il en reste à peine. Elle a passé trente ans à dessiner sur des coquilles d’œufs. Qui se brisaient au fur et à mesure.
- la grande caisse de F. remplie de cocottes en papier de la taille d'un ongle.
plier
déplier
donner forme au fragile
de l'enfance dire ce minuscule
- la poupée de chiffon de N. Bras jambes tête pénis gonflés. Autour du cou, serrée, une grosse corde.
- la boite en bois contenant les objets de D. Des absences, des disparus sous un fil qui passe et repasse, avale la forme, tient le monde en entier.
préserve une personnalité en morceaux
une vie scellée
- les horloges de F. Papiers, cartons, éclats de bois, ficelles. Décomptent un temps arrêté.
- l'habit de V. De corvée de ménage à l'asile, il gardait chaque chiffon. Le lavait. Le découpait. En formait de longues cordelettes qu'il liait ensemble. Ainsi s'est fabriqué un pantalon, deux bottes, une robe longue, une tunique, une écharpe. 43 kilos. Qu'il portait chaque jour. Il disait que dedans tout était pur.
que dehors tout faisait mal
43 kilos en plus, c'est à peine pour se protéger du monde.

Sinon, à Turin, Nietzsche pleure toujours sur l'encolure du cheval.















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