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Affichage des articles du octobre, 2014

La Patagonie

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Aujourd'hui paraît La Patagonie , aux éditions Les Carnets du Dessert de Lune . Extrait de la préface, composée par Jean-Marc Flahaut : De livre en livre, l’auteure du Plancher (2013) n’en finit pas d’inventer sa propre langue, son propre alphabet, construit à l’écart, en bas des marges. Une bataille rangée. Menée bec et ongles. À coups de ciseaux. Des textes bruts, sans concessions, qui interrogent nos réalités subjectives et s’apparentent à ce que Patrick Chamoiseau appelait de ses vœux en invitant les auteurs de demain à laisser tomber les codes habituels pour expérimenter « des organismes narratifs infiniment complexes (…) en opérant des saisies de perceptions qui nous confrontent à l’indicible à l’incertain à l’obscur.» Les Carnets du dessert de lune / coll. Pleine Lune Poésie, Prose 14 x 20 cm / 108 pages 2014 13 €

le décompte

J’apprivoise la brume sous un ciel pommelé d’écume. Sol jaune d’automne s’évade à mes pas, le chien brame contre d’invisibles parois. Déplacements opaques dans un silence d’aube, mon costume pénètre la chair d’une forêt aux prises avec ses fantômes. Devant moi se dilue un temps d’écorces et de bogues, je sais qu’il y a derrière des châteaux, des dessins, qu’il faut traverser des nuits criblées de cris, des mots sans contours, des échos sans bouche, l’automne des corps le soleil du désir. Je précipite dans la brume les années à venir, mords le crayon du plomb de mes recherches, tends mon verre vide à la fontaine des pèlerins. Je savoure ma brume du bout de la langue. Les arbres morts sont toujours dressés, aucun décompte ne rythme ma vie.

la brume et l'araignée

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plq, la brume et l'araignée, 2014

Le troupeau

On rentre le troupeau, je reste immobile au milieu des pattes des dizaines des centaines. Elles m’évitent me connaissent. Les sabots et au-dessus muscles, os, le pelage tacheté. Elles sentent. Sentent bon, fort. Je suis au milieu du champ, des jappements, des meuglements des cris du père. Des réseaux de veines se dessinent près de mon regard des peaux rugueuses contactent ma main je caresse des flancs des rondeurs, toutes des mères. On rentre le troupeau je rentre au pas entraîné dans le sillage à l’étable me voilà. Attachées une à une, attachées rangées ordonnées pour la nuit, prédateurs et lunes rouges, protégées mes belles bêtes, j’attache doux le père dit, j’attache simple le lien lâche qu’elles respirent. La machine en action, des pis pleins mon dessert toutes des mères, des pis pleins bien sucés bien traités jusqu’à la dernière goutte et l’écume à mes lèvres.

La première page

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C’est tout noir et marche devant seule droite, avance en face debout. À la maison je fais la vaisselle et je recommence encore une fois une autre pour tuer le temps parce que dehors non. La nuit a duré enfin, celle où j’ai dormi plusieurs heures sans cauchemar parce que la bouche pleine de médicaments bouffer la mort pleine bouche la dévorer. Je suis redevenue une fille normale après 15 ans une folle normale violée normale victime normale on me remarque plus, pas faire le moindre bruit et laisser la graisse recouvrir tout m’avaler me protéger me transformer en rocher en obstacle en montagne. Faut pas parler. Jamais crier. Dans la cave non plus.  Il faut sortir, la rue, voir des visages et même revoir ces visages-là pendant 15 ans encore et aujourd’hui en salle d’audience ces visages-là encore. Personne jamais ne me parlera le soir, chuchoter un baiser un sourire. Personne jamais. Un jour de plus. J’ai déambulé dans les rues autour de la cité. Croisé des

La première page

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Il est sur mon corps, il pousse et geint et frappe et crie et bave. Il est sur mon ventre, mon visage, mes seins, mes cuisses. Il perce, saigne, jure, force. Ses coups résonnent dans mes os ; je pensais en avoir terminé avec lui, avec eux, je pensais m’enfoncer dans le néant et l’oubli, je pensais m’échapper. Mais il est là, sur moi, à me chevaucher. Couteau, poinçon, gouge, il m’écorche, me pèle, me fend, me taille. Sous lui je crie, immobile. Je me débats, silencieuse. Je me révolte, morte. Le Plancher, Les Doigts dans la Prose , 2013