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Affichage des articles du septembre, 2009

Les bas

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C'est en cherchant ses clés que le souvenir est apparu. Un passé de quelques heures, enfoui au fond du sac. Le trousseau s'était accroché à la paire de bas, qui maintenant sortait du sac, longue comme sa tristesse, douce comme sa nostalgie. Elle les avaient emportés au rendez-vous. Parce qu'elle avait espéré l'entraîner dans une chambre close, jouer avec lui, le séduire, l'entortiller dans ses bas couleur chair. Mais dès la première minute, regard pressé, voix détachée, elle comprit qu'elle avait tout faux : faux les talons pour la rapprocher de sa bouche, faux la robe pour inviter aux caresses, faux les bas accessoires qu'elle dissimula comme une dépouille honteuse au fond du sac. A présent, assise seule sur son canapé, elle les étire, les noue autour de ses chevilles, autour de ses poignets, se fend la bouche d'un sourire nylon, s'aveugle. Y a t'il une date limite à la passion, aux jeux amoureux ? Elle l'a oubliée, ne l'a jamais lue. El

Le crachat

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Il attrape son manteau de violence et de haine, l'enfile et sort en claquant la porte. Francesca reste là, plantée au milieu de la pièce dévastée par cette soudaine tempête d'injures. De la bouche du fugitif elle a vu sortir des promesses, des serpents, des vœux, des squelettes d'oiseaux, des tripes, des essaims de mots, des coulées de boue. Et comme point final ce crachat. Elle passe d'un pied sur l'autre, tend ses bras : le crachat dessine une écume blanche, hérissée de crêtes sèches et odorantes qu'elle gratte du bout de l'ongle. Death and the Maiden , Dorothea Tanning , 1953

Closed

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Elle est toute petite serrée entre les quatre murs. Jour après jour ils se sont rapprochés, lourds, pleins, infranchissables. La tête entre les jambes elle laisse aller son poids, sa langue pend, ses cheveux s'emmêlent. Le bruit de l'extérieur ne rentre plus ici, les voix ténues qui se signalent ricochent contre les murs. Aujourd'hui les murs ont avancé de plusieurs centimètres, écrasant son dos, appuyant sur son crâne. Elle sourit les yeux clos, dans peu de temps elle sera invisible. Chang-nang Minor , Kyung Jeon , 2004

Crevé

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Il est assis en face d'elle, regard à l'hélium qui s'échappe et s'attache à chaque femme frôlant leur table. Il passe en conversation automatique et elle l'observe tandis qu'il se gonfle lentement : jabot, queue, tête, ce n'est bientôt plus qu'une baudruche multicolore, très loin d'elle. D'un coup d'ongle elle le perce et le quitte, tandis qu'il zigzague en chuintant misérablement. Doll , Alex S Kliszynski

à vol d'oiseau

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Sous ses pieds le sol noir, vrombissant de la gare. Pas chaotiques sur le plastique crevé du train. Bientôt le quai mouillé de bruine, les deux pieds familiers qui viennent à sa rencontre. Enfin le gravier intime et chantant, l'herbe grasse piquée d'oiseaux, le bois de l'escalier et ses craquements jusqu'à la chambre, le tapis d'ailleurs qui fut toujours ici. Alors lever les yeux et mesurer d'un regard la distance qu'il reste à parcourir. Om att gips , Klara Kristalova

Perfectionnisme

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Elle mange trop. Il a acheté un collier. "Quelle race?" "Fille, 5 ans, 1m05". "Vous voulez l'étrangleur?" "Non, c'est pour l'accrocher au radiateur". Elle est attachée. Ça ne suffit pas. Elle est battue. Ça ne suffit pas. Elle est morte. Ça ne suffit pas. Sa dépouille est jetée à la cave. Ça ne suffit pas. Un mètre zéro cinq dans le congélateur. Ça ne suffit pas. Cinq années trébuchantes coulées sous le béton. Ça ira. Pourquoi sa mort aurait-elle été plus douce que sa vie? What I've been told , Diem Chau , 2007

à peine

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Elle est cramponnée à l'à-pic Elle est suspendue à un souffle Elle est égarée dans l'attente Elle est encagée-enragée Elle est face à l'inévitable Elle est trop près, trop loin Elle est troublée, tremblante. Thorny Girl , Fay Ku , 2007

Docile

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Elle passe la main sur la mousse verte du muret. Appuie un peu. Cela fait longtemps maintenant qu'elle est assise là, à attendre. Si longtemps que sous ses fesses la mousse s'est creusée, chaude et humide. Comme si elle avait fait pipi. Elle a peut-être fait pipi. Elle ne peut pas tout savoir. Elle sait qu'elle a quatre ans et qu'elle ne doit pas bouger. Elle a dit qu'elle viendrait la rechercher. Elle presse plus fort la mousse verte du muret. Une autre nuit est bien obligée d'apparaître; la mousse noire a recouvert main, bras, cou, visage; la bouche en est pleine. In The Bush , Mia Mäkilä , 2009

Conseil

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S'il suffisait de se tenir droit pour être heureux Lucy, Marlene Dumas , 2004

Le Crabe

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On me dépose sur le sol lorsque le soleil se couche. Je suis une créature de la nuit et de la poussière. J'ai la même place depuis des années : on viendra me rechercher dans de nombreuses heures, lorsque la rue sera essorée de ses passants et de leur obole occasionnelle. Ceux qui me connaissent m'appellent L'Araignée ou le Crabe : mes jambes sont deux bourgeons noueux, je suis un torse-tank. Un bras accroché à la béquille, je tourne sur le sol pour me signaler aux marcheurs qui sinon m'écrasent comme l'insecte nuisible et démesuré que je suis. L'autre main tient la tasse où tombent les pièces. Je projette ma tête en arrière et regarde l'humanité qui coule dans Khao San Road, passage de tous les possibles, je regarde d'en bas touristes, routards, aventuriers, travellos, drogués, chercheurs d'or, de bière, de sexe, de nourriture. Ils me passent par-dessus, me coutournent, m'enjambent, prisonniers dans ce passage obligé, enfermés dans l'aquarium

Envolée

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Elle ne partit pas dans la direction opposée. Elle ne tourna pas le dos, ne claqua pas la porte, ne s'enfonça pas dans le labyrinthe, ne se dissimula pas dans l'ombre. Elle n'avala pas ses mots, elle ne brandit pas son silence, elle ne se blessa pas. Elle ne baissa pas la tête, ne retint pas son souffle, n'ouvrit pas la mauvaise porte. Elle posa ses pieds, un par un, puis course bras ouverts, brassées d'air et de soleil contre sa peau, chemin bordé de fleurs, éclaboussé de lumière, pierres tranchantes roulées sur les bas-côtés, racines de muscles palpitantes sous la peau. Elle courut vers sa mère qui l'attendait, juste un peu plus loin. Swarm , Fay Ku , 2008

Passage

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L'herbe a envahi le seuil de la maison. De ses deux poings elle serre des bouquets de pointes vertes et tranchantes puis s'engage dans le passage de lignes ondulantes. Écran vert où naissent et s'évanouissent ses images préférées : le sein arc-en-ciel sur lequel le vent joue; les herbes ploient, se redressent; le regard qui la boit et la lave; les herbes bruissent sous ses pas; la main entrelacée de veines bleues qui se noue à la sienne; l'herbe se couche et de tout son long elle l'embrasse; les éclaircies de ton sourire. Les gourdes de la femme du pèlerin , Patricia Glave , 2003

Nuitamment

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Il se passe des choses dans l'ombre de mes rêves que je préfère ne pas voir. Silhouette : Kara Walker

Patience

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La petite attendra. Elle est toute cousue de patience et d'admiration. Pour ses aînées, loin devant elle, leurs visages près du ciel. Une robe neuve est arrivée. La petite attendra. Elle admire la plus grande qui se coule dans le tissu neuf, arrange les plis de la taille, gonfle poitrine et sourire. Une année, deux années, et voilà la seconde des sœurs qui enserre la robe dans ses bras. C'est son tour. La petite attendra. Encore quelques années. Et enfin la voilà. La robe défraîchie, accrocs, raccommodages, couleurs passées, maladies de corps, de cœur, de peau, ses sœurs y ont laissé leurs empreintes et lorsque la petite l'enfile à son tour, dans quoi s'engouffre t'elle ? East Village , NY2005, Samantha Casolari