L'ENTRESORT

Au réveil, cligne des yeux, elle ne sait pas encore, a oublié, elle croit encore, qu'il est là, dans sa vie, dans son lit. Instant béni, ce réveil, naissance répétée, nouvelle journée, la possibilité d'un rêve. Elle ne bouge pas, cligne des yeux, la réalité s'approche, elle retient son souffle, encore un moment, croire que si elle tend la main, elle rencontrera sa peau, son corps bien-aimé, son bien-aimé. Big arika , Dorthe Alstrup , 2009

Il rejette sa tête en arrière, satisfait. La dernière grille vient d'être installée dans le jardin. Il serre dans sa main le trousseau encore un peu plus lourd. Il sait bien, lui, la rareté d'une petite fille. danDan , video installation , Tabaimo , 2009

Six dans la salle d'attente, plus de place pour une tentative de souffle, attente puissance six et moi sept, et d'un coup un qui dit "Tout ce qui est bleu, tu le jettes", il le dit trois fois, arrache des poignées d'air avec sa main et balance ça à travers la pièce et les autres opinent, et marmonnent "oui, oui, tout ce qui est bleu, tu le jettes" et ils braquent leur regard sur moi qui ne dit rien, parce qu'alors qu'allons-nous faire de la mer et du ciel et de l'encre? Continente , Sirai , 2010

Le poids de la première pierre. Au creux de la main, la féroce puissance. Tragique besoin, fracasser, détruire, briser, réduire en miettes. Se baisser, ramasser la seconde, puis l'autre, cartouchières pleines, jeter, corps déjeté, briser, impact, fêlure sifflante, explosion. Maître de son destin, impact, fêlure sifflante, explosion. Sans titre, installation, chapelle des Pénitents Bleus, Narbonne , Laurette Atrux-Tallau , 2010

Ils sont là, bien alignés sur l'étagère - leurs corps flottants dans le formol du souvenir -leurs membres recroquevillés - leurs organes blanchis- leur silence collé à la paroi du bocal. Les deuils, petits et grands, insurmontables ou passagers, le peuple de l'étagère - il suffit de dévisser un couvercle. 2nd Century Mummy Masks, Pushkin Museum , Andy Freeberg , 2009

Ce qu'elle devrait faire c'est acheter un panier pour chien, le jeter dans un coin et s'y rouler en boule. Et puis attendre que ça passe. Que passe son humeur de chienne. Pastel noir n°3 , Mâkhi Xenakis , 2009

Il suffit de laisser s'écouler le désir hors de soi. Drool , xStuntkidx , 2008

Combien de pas inutiles sur le podium? Contorsions, glissements, écarts, voiler, dévoiler. Des pas sur des aiguilles, à marteler les miroirs, des pas qui bout à bout l'auraient fait traverser le monde. Soft ties , Ellie Noble , 2010

Tout lui tombe des mains plateaux, carafes, assiettes, livres, clés, cœur, caresses. N'ose plus faire un pas. Devrait serrer plus fort. Série Mexico (Onions) , Jane Fulton , 2010 (?)

Lorsque tu auras bien labouré le champ de ta douleur, comme un cheval de trait, muet et obstiné; lorsque tu auras creusé suffisamment de sillons, profonds, noirs et gras; lorsque que les lombrics auront festoyé et aéré la terre, la perforant de part en part; que les nuées de corbeaux t'auront assourdie; alors il sera temps de t'arrêter. Et de regarder pousser. Ex-Libris, Anya Triestram , 2010

Soulignée d'un trait rouge à la naissance. Tout au début du chemin. Pour l'éclairer, des balles traçantes. Il faut du temps pour purger sa peine. Oiseaux , Marina Perez Simao , 2009

Et parce que palpite près d'elle l'ombre noire, la corolle de plumes ouvertes sur le plaisir, dans sa fragilité et sa légèreté, l'absence semble encore plus lourde, encore plus massive. Le corps suspendu qui déverse ses entrailles, ce corps qui se fend et se rompt, cette femme qui tient le monde dans son ventre, en livre un morceau, puis se rétracte, se replie, et s'oublie. Halbmond des Adlers , Rebecca Horn , 2002

Arrête de pleurer sur ton pancake gamine. Non tu ne la reverras pas ta mère. Orpheline à 40 ans, tu crois pas que tu as passé l'âge? Allez, avale tes œufs morts à la farine, on a une ville à visiter. Geschenk , Maike Freess , 2008 (?)

C'est la peau qui réclame, le cœur qui s'emballe. C'est le manque et l'envie. Le désir et l'absence. La réponse qui s'impose. Elle se lève d'un bond, attrape boite et filet, part battre la campagne. Fourmis, araignées, scarabées, cloportes et mantes, le peuple d'en bas, rampe, bruisse, cisaille, avec ou sans élytres, abdomens d'encre et d'or, cuirasses et mandibules. Elle chasse la journée entière, capture le peuple grouillant; évite les papillons et leurs ailes poudrées de souvenirs. À la nuit complice, s'allonge nue sur le lit, ouvre la boite, déverse pattes, corps et ailes à l'assaut de sa peau. Untitled (Rorschach) , Gilles Balmet , 2004-2007

Je vous prie de bien vouloir agréer, Madame, Monsieur, l'expression de ma plus sincère laideur. I'll be , Aldo Chaparro , 2006

Elle n'a plus d'étreintes qu'en rêve. Maudit la mémoire de la peau. Le froissé, le touché, l'odeur, la saveur, la douceur, l'abri. Monte sur ses grands chevaux, galope vers l'amnésie. Serre plus fort ses cuisses nues sur le cuir mouillé. Bascule, traînée sur le sol, pied dans l'étrier. Remonte. Vise l'horizon. Migration , Doug Aitken , 2008