Le Crabe


On me dépose sur le sol lorsque le soleil se couche.
Je suis une créature de la nuit et de la poussière. J'ai la même place depuis des années : on viendra me rechercher dans de nombreuses heures, lorsque la rue sera essorée de ses passants et de leur obole occasionnelle. Ceux qui me connaissent m'appellent L'Araignée ou le Crabe : mes jambes sont deux bourgeons noueux, je suis un torse-tank. Un bras accroché à la béquille, je tourne sur le sol pour me signaler aux marcheurs qui sinon m'écrasent comme l'insecte nuisible et démesuré que je suis. L'autre main tient la tasse où tombent les pièces. Je projette ma tête en arrière et regarde l'humanité qui coule dans Khao San Road, passage de tous les possibles, je regarde d'en bas touristes, routards, aventuriers, travellos, drogués, chercheurs d'or, de bière, de sexe, de nourriture. Ils me passent par-dessus, me coutournent, m'enjambent, prisonniers dans ce passage obligé, enfermés dans l'aquarium où les décibels empêchent de parler, où le chant monotone des grenouilles de bois rythme leur pas.
Lorsque je suis fatigué, je laisse aller ma tête et colle mon oreille sur la peau grise de la rue . Yeux fermés, j'écoute battre son cœur.

Floating, Nadine Byrne, 2008


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