Femme nue avec un morceau de fromage
Décembre 2012 - Conversation dans l'atelier de Michaël Borremans (extrait)
La peinture, c’est du théâtre. Finie la reproduction, la peinture est
libérée de ses anciennes fonctions. C’est à présent une forme purement
artistique, et c’est pour cela que j’ai choisi très rationnellement ce médium.
Je n’ai pas besoin de peindre des batailles en mer ou des scènes d’histoire.
Lorsque je peins des nuques, c’est pour
accentuer l’aspect anonyme, un peu comme un humain générique, plutôt que de
désigner une personne précise. Comme une figure de porcelaine, un archétype… Je
ne peins jamais de personnages qui vous regardent, qui sont en contact avec
vous.
C’est très similaire au travail de
Magritte, je ne savais pas, il y a cet homme qui se regarde dans le miroir et
on voit l’arrière de sa tête, ce qui n’était pas mon idée, mais d’un point de
vue visuel c’est similaire.
Si j’ajoute des prothèses, c’est une construction suggestive, personne
ne sait vraiment, c’est vous qui regardez, décidez de ce que vous y voyez, vous
qui le finissez, ou pas… Mais ce que je souhaite produire, c’est une réelle
mutation, une altération du visage humain.
Mes personnages sont dans des
environnements claustrophobes, toujours en intérieur.
« Everything falls »,
la toute première sculpture que j’ai exposée. La base est en bronze, très
grande, très lourde, et le reste est en bois, verre et acier. C’est apocalyptique
d’une manière tranquille. Le buste est dedans, pas dehors. Si j’en exécute
d’autres, ce sera toujours derrière une vitre, toujours… La sculpture est très
physique, c’est très concret, je ne peux pas le supporter et mis derrière une
vitre, cela devient moins concret, il faut que ce soit derrière une vitrine,
comme dans une boutique, vous pouvez seulement le voir, c’est réel mais pas
réel, vous mettez une distance. La
poussière a aussi une fonction, elle accentue le passage du temps et crée une
autre couche de distance. Le temps est entre l’objet et le regardeur. C’est un peu comme un tour de passe-passe
très théâtral.
On travaille bien quand c’est un jeu,
quand c’est trop sérieux... l’ennui s’installe.
« The Load »- Elle a une capuche et ressemble à une petite femme d’une œuvre de
Vermeer, mais le cadrage étrange, très serré, et l’ombre agressive dérangent
psychologiquement. « One » - Je
ne l’avais pas planifié, j’avais commencé à peindre le visage, et j’ai pensé
que ce n’était pas fini mais que c’était bien comme ça. J’ai donc arrêté, je me
suis dit que je n’allais pas en faire plus, et voir le lendemain. Pourquoi
faire plus, c’est transparent, c’est très intéressant, elle devient un esprit,
elle est là, elle n’est pas là.
J’aime qu’une
peinture soit en même temps très attractive et très gênante, parce que si c’est
uniquement attractif…
Je prends moi-même les photos de mes
modèles : ils viennent à l’atelier et je les photographie. Au début
j’utilisais des images trouvées sur internet ou dans des livres, mais depuis
huit ou dix ans je crée la scène moi-même, c’est une part importante de mon
travail, comme une chorégraphie, je le fais jusqu’à ce que je trouve la bonne
image. La photo est dans mon ordinateur, sur mon écran, je peux la regarder,
zoomer dessus, si je veux peindre une oreille par exemple.
Demain une
performeuse arrive, nous allons travailler ensemble deux jours, juste pour que
je la prenne en photos ; une autre personne sera présente pour le
maquillage, on va faire des trucs étranges, lui donner un air très artificiel,
elle ressemblera à une grande poupée.
Parfois je peins et je pense qu’il me
manque le mouvement… alors je réalise un
film. Mais mes films sont aussi des peintures, ce n’est pas du cinéma. Il y a
une relation avec le cinéma bien sûr, mais j’utilise ce medium dans une autre perspective.
Dans la peinture il faut supprimer tout le temps, je ne fais que
supprimer. J’essaie de réduire les informations de contextes et les références,
parce que moins il y en a et plus le travail devient universel. Maintenant je
vais essayer de peindre des natures mortes, c’est plein de pièges et de
clichés, et si vous êtes un bon peintre, c’est une réussite. J’ai
déjà peint des magnolias un peu fanés, des branches… je veux aussi… je n’ai pas
encore fait ça : peut-être une femme nue avec un morceau de fromage.
Quelqu’un doit le faire.