T3_La penderie

Les vêtements de mes aînées malgré mon âge toujours pas une peau à moi deux ronds devant moi de quoi acheter à ma taille à mon goût et faire tintinnabuler les cintres où mes robes fanfreluches et autres coquetteries suspendues, caresser de ma main et yeux gourmands des piles polychrome de tee-shirts et pulls soigneusement repassés, d’ailleurs je n’en possède pas même un de fer, à quoi bon lisser ces épaisseurs de tissu quand je passe  mon temps à lisser mes pensées pour ne pas choquer ni scandaliser alors ces vêtements je les enfile sur mon dos ma chair mes os mais ils restent vides, la jupe vide le pull vide les collants vides c’est autre chose qui me donne un contour une ligne une existence pas cette transmission-là mal tissée mal ajustée trop large trop étriquée, il y a des crayons qui tombent de mes poches des trous qui s’épanouissent aux coudes aux seins Nirvana qui me colle au plafond la jupe qui descend les hanches qui saillent les feuilles des arbres caressent les fenêtres en rythme si je les ouvre balance la penderie elles me caresseront aussi, feuilles et peau et pourquoi ne pas vivre en feuilles et peau et un zeste de musique pour bouger en rythme ? allez-nous en ! je me connais de moins en moins, connais de moins en moins ce corps ne me reconnais plus dans ces vêtements ces pantalons ces manteaux toujours trop grands trop larges plein d’histoires usagées, second hand inventer une vérité bonne à dire et remercier à chaque sac largué au-dessus du T3, manœuvres d’approche balises allumées périmètre délimité, ne pas s’avancer trop près de la bête enfermée mais qu’elle soit présentable décente nourrie habillée lavée peignée et des mots articulés au fond de sa bouche, éloignez-là éloignez-vous, je vis entourée de ravins de précipices d’abîmes, m’accroche aux cintres métalliques de la penderie me terre sous une montagne de vêtements les déchire en drapeaux blancs, les noue en cordes à nœuds, risque une sortie une évasion, profite d’une crue de lumière pour détaler d’une plinthe à l’autre les cintres accrochés à ma queue je cliquette sur le plancher le carrelage les tomettes, les arbres me font de grands signes derrière les vitres mes naseaux projettent deux cônes de fumée et je peux écrire aux arbres des messages d’amour mais aussi qu’on me
-          Arrête ton cirque
remette sur pieds m’ôte ces vêtements cette jupe ces collants ce pull
-          T’es chiante là, viens t'asseoir qu’on termine de dîner
debout je suis toujours allongée couchée sous la penderie sous mes aînées ne montrant que mon dos
-          Merde, tourne-toi l’assiette est sur la table pas par terre
pour fuir ce que je refuse de voir, personne ne m’obligera à regarder le passé par les trous des vêtements usés qui remplissent ma penderie mes placards ma mémoire.









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