T3_La baignoire
Sur
ma chaise mais mes pieds sur le bord émaillé de la baignoire, je pousse, me
balance, ça dure depuis un moment déjà, le temps de faire défaire refaire, de
comprendre de te voir d’imaginer. Avant/arrière, le fond de la baignoire est
blanc, est sec, est creux, est lisse, est brillant, il apparaît disparaît, je te vois apparition, je t’imagine disparition, la chaise supplie que j’arrête,
d’accord à quatre pieds maintenant et mes coudes sur les genoux, et mon menton
sur le bord d’émail ourlé, et mes mains traînent au fond de la cuve, et
j’enjambe l’ourlet et me couche dans ce lit. C’est blanc, c’est sec, c’est
creux, c’est lisse, c’est brillant et je suis sur ton corps, je suis dans ton
corps, je fixe la robinetterie muette le carrelage à angles droits, alors
voilà, c’est comme ça, tu avais décidé ce jour-là, le bon jour pour toi, de gober les
barbituriques, pilules rondes, de 1 à 10, de 10 à 20, et plus sans doute et
ensuite tu as décidé de chercher le bon endroit, un nid frais, un contenant, un
cercueil, un cadre un lieu sans mémoire où rien n’adhère et ainsi l’estomac plein
de pilules tu tangues vers la salle de bain, tu en franchis le seuil et
lentement tu t’es coulée dans ce vaisseau immobile et puis voilà, tu as eu peur
que ce soit insuffisant peut-être, les cachets, alors tu es ressortie du ventre
tu as vomis plus loin dans la cuisine où justement tu passais boire un peu
d’eau pour déglutir l’amalgame, puis marche arrière je vois ta nuque que caressent
encore tes cheveux courts, je vois la tension de ta nuque je voudrais y déposer
un baiser et de nouveau dans la baignoire avec ton ventre plein ton cœur plus
gros ou plus léger, ta tête bien ailleurs ça je le sais, tes vêtements chemise
rouge short en jean, couchée sur le flanc gauche dans le seul endroit frais de
l’appartement, la lame parce que ça ne suffira pas tu crois, tu tailles tes
poignets personne à prévenir et puis il faut bien souffrir, que ça fasse un peu
mal la mort, on parle de la mort tout de même, pas juste un linceul blanc lisse
froid percé d’un trop-plein où t’endormir, alors les filets rouges sur l’émail
blanc, personne à prévenir et l’eau absente, te voilà au cœur de l’absence dans
ce qui est pour toi le bon jour, tes veines coupées le sang l’émail, la
baignoire creusée par ton corps alourdit de barbituriques de vide de peine, tu
fixes loin devant regardes au travers, ils viennent tous s’incliner devant tes
paupières prêtes à se clore, les freaks les folles les fêlures les trans les
innomés les innombrables passés devant ton œil ton objectif ton âme tes
interrogations, passés par ta vie ton œuvre, tes photographies ton cadre, mais
là personne pour ce dernier bain, ce bain de plusieurs jours jusqu’à ce que
l’amant mal aimant ne s’inquiète finalement et ne retrouve ton cadavre
décomposé au fond de la baignoire vide, la même que celle où je suis à présent,
pensant à toi à ce suicide, au vide, des semaines entières rester devant ma
baignoire à en fixer le fond jusqu’à ce que la nuit nous recouvre.