T3_Adieu
Dix minutes, ils m’ont laissé dix
minutes en précisant que c’est la procédure il n’y a rien à espérer de plus et engoncés
dans leur costume d’huissier ils se sont postés sur le paillasson me laissant
seule dans le T3, j’ai allumé l’œuf, réglé sur 10, tour d’appartement au son du
tic-tac, 10 minutes, 10 ans, j’emporte quoi ? inventaire inutile, je marmonne prends un objet le repose pourquoi celui-là et pas
un autre, pourquoi cet instant et pas un autre ? je crois finalement que rien
ne mérite le tic-tac dans ma tête cette bombe à retardement qui vrille
lentement mes nerfs, au troisième tic-tac je sais je cours
maintenant dans ma chambre prendre l’appareil photo et le pose sur ma chaise me
déshabille enclenche le retardateur et commence la cérémonie des Adieux, Adieu
à mes personnages mes amours mes amants mes passés sans bouger les lèvres,
juste un pas en avant, un pas en arrière, l’appareil son œil complice et son
bruit furtif tranche sur le tic-tac de l’œuf, je traîne ma chaise dans
la cuisine dans les couloirs Adieu ! dans la salle de bain dans mon bureau
Adieu ! devant le miroir le four le vide Adieu ! je grimpe sur les
radiateurs Adieu ! je me frotte contre les murs contre le plancher
Adieu ! je monte sur la table sur les toilettes Adieu ! le canapé le
lit Adieu ! me plie dans le tiroir casse les assiettes les tasses je m’accroche
au chambranle Adieu ! l’appareil me suit déclenche enregistre admet que je
viens d’une maison cassée et qu’importe l’endroit où j’habite, l’endroit dont
on me chasse, je n’habite nulle part si ce n’est dans un cadre inventé entre
ombre et lumière silence et rumeur, ma peau se colle aux meubles à l’émail au
bois à la peinture il ne reste pas grand-chose de la femme arrivée ici dix ans
auparavant et délogée elle sera plus légère encore, prête à habiter un rêve
sans murs ni plafond ni toit.