T3_La cuisine

Pour ton anniversaire j’ai cassé des œufs, séparé ovale et gluant, déclenché la pluie, farine, sucre, le tonnerre du batteur électrique, traversé d’écœurants ruisseaux de beurre fondu, et encore et encore, des aliments en sachets, en poudre, en barre, le cru, le cuit, refroidir, chauffer, mélanger, battre, recouvrir, tamiser, lier, casser, verser, allumer, tout cela en 25 minutes disent-ils, j’ai pris un peu plus de temps, le triple en fait jusqu’au moment où j’ai ouvert la porte du four et qu’il a englouti la préparation tremblante, je tremblais moi aussi, ce fût un instant de médailles décorations célébrations félicitations, les cloches sonnent, les trompettes et mes voix intérieures pourtant réticentes au matin devant ma décision du gâteau, à présent déchaînées, louanges, ALLELUIA !, la chaleur du four rosit mes joues, chaleur, émotion, je ne me décide pas à refermer la porte, hypnotisée par le spectacle de la pâte noire étendue dans le moule, prête à approcher le tabouret pour assister au premier rang à l’intégralité du processus, cuisson, montée, dorures, craquelures, odeur mais enfin j’ai bien compris que tout cela se passerait mieux dans l’intimité du four et que la magie opère sans témoin, d’ailleurs dans la page que je défroisse du fond de ma main il n’est écrit nulle part « Ajoutez vos yeux ouverts », alors je  referme sans bruit la petite porte lourde et tord le cou à un œuf bien mort celui-là qui sonnera au moment T puis je retourne près de la table où en 1h30 plusieurs catastrophes naturelles et/ou provoquées par la main d’une femme sont advenues et m’assois face aux reliefs, pose ma tête sur mes bras pliés dans l’attente de l’alarme et m’assoupis sur l’oreiller de coquilles en pensant Surtout surtout ne pars pas trop loin et n’oublie pas d’attacher un tablier sur ta  robe d’organes mûrs quand tu lui ouvriras la porte du T3 qui embaumera le gâteau tout juste sorti du four en chantant Joyeux anniversaire ! et les bougies penser aux bougies mais verra-t-il mes sérieux efforts, mes efforts sérieux pour atteindre un coin de normalité de sa normalité où je ne me tiens pas assez souvent qu’il dit que bancale pas comme les autres pas facile à vivre pas facile à comprendre et qu’il ne faudra pas s’étonner si, alors pour son anniversaire Bonjour ! je voudrais des œufs farine sucre chocolat beurre moule bougies, Bonjour ! merci remonter les courses et entrer dans le rituel de l’anniversaire, y entrer sans tracas sans fracas, et maintenant mes narines pleine de farine sentir la douce odeur de normalité et même on pourrait ajouter « d’enfance » se répandre dans l’appartement, la petite porte dure du four franchie, et m’appeler très tendrement contre elle après tant d’années, oui finalement elle m’appelle et tend vers mes 1,2,3,4,5,6,7,8,9,10 ans le gâteau couronnée de flammes Bon anniversaire ma fille chérie ! j’écrase contre ma joue les brisures d’œufs plante les fourchettes enfonce les bras métalliques du batteur électrique une alarme déchire mon sanglot elle crie elle crie, les catastrophes naturelles et/ou provoquées se multiplient gagnent du terrain plancher murs peau, ma peau mes trous du corps localisation de l’alarme brisée ouverte en deux l’œuf mort, derrière la porte l’incendie de mes anniversaires, l’enfance avant, c’était avant je n’y vois plus rien odeur de mort incinération four crématoire à l’intérieur éloigné je l’ai vu le petit cercueil noir.








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