T3_Le bureau

Le bureau une planche noire horizontale où s’élève ma mégalopole de papiers dressés gratte-ciel et taudis, des piles mes piles tout est si bien rangé suivant l’ordre principal de mon esprit dérangé à la recherche de phrases à couper en petits morceaux, des fagots à brûler les jours de froid intérieur, mon bureau du décousu main, la sono bouge sur la surface lisse, le son est toujours trop fort et mauvais matériel ça crache et tressaute sur le vernis noir et mes doigts vont en rythme, l’ordinateur est placé au centre sur un mille-feuilles de notes qui dépassent montrent leur tête leur queue leur dedans leurs tripes, mes yeux s’arrêtent s’attardent attrapent, je lève la tête pour détendre mes cervicales prises entre deux contractions, à gauche la rue qui dévale bordée du trottoir noir il pleut ce soir, noir et lisse quelque chose noir c’est indéniable tout autour de moi et même quatre étages plus bas, mon bureau cœur du T3, son arythmie ses maladies cardiaques d’amour et tout le reste, en bas donc les gens pas la peine de leur parler je pourrais même me coller nue contre la vitre me caresser cuisses écartées, ils ne me voient pas ils sont tout en bas vite vite ils vont, ils partent, mais je ne me caresse pas je tape sur le clavier, noir aussi, du coup parfois ça s’échappe et termine sur le bureau ses coins ses détours ses ruptures ses réconciliations ses gris-gris, combien vous en avez-vous des trucs «qu’il faut toujours avoir sous l’œil dans le périmètre dans le coin pour se sentir bien chez soi partout en sécurité, prête à plonger dans  ? »
 1/ la musique trop fort, 2/ le galet de Wrac’h 3/ le lapin blanc 4/ les dix quinze stylos crayons, les livres en cours, les cahiers en cours où tout est brouillé dedans jamais d’ordre sur ces pages-là c’est une honte le temps perdu à tenter de s’y retrouver, 5/6/7/ trois taches rondes de miroir le tapis du Petit Poucet, les quelques images qui vont rester là jusqu’à ce qu’un jour je ne les supporte plus elles me portent la poisse c’est sûr c’est pour ça que je n’avance pas, mais depuis longtemps une Femme-maison de marbre blanc voluptueux de Louise B. Henry M. qui se marre et fume un clope, une femme de 1884 qui écrit sur ses genoux mes enfants en habits d’innocence, une tête de mort qui mord un hareng dans la bouche d’un autre mort d’Ensor, une pagaille de monstres boschien des ciseaux rouillés pour les veines pas la peine, Viviane qui se cache derrière Burroughs le drogué qui coupe les phrases et sniffe de l’encre,  LOVE HURTS et sa cible au-dessus de tout et la photo dont on ne parle pas mais enfin mes yeux la connaissent par cœur, c’est une perspective de lumière, un cône dans lequel se tient mamère, je suis un bébé dans ses bras sur ma tête un chapeau blanc pour me protéger et les bras pour me protéger c’est ainsi qu’il faut voir les choses et que je les vois lorsque mes yeux de temps en temps par une compression d’efforts violente reprise de souffle se posent sur la photographie, nous sommes au  centre de la lumière à droite et déjà dans l’ombre à gauche il y a deux frères, encore un peu lumineuse il y a une sœur, le ciel est blanc parce que l’image se décolore à force d’être exposée, des gens derrière et quelqu’un devant qui prend la photo, tous nous le regardons et il nous regarde si bien caché qu’aujourd’hui encore il est invisible, j’ai perdu beaucoup de temps à tenter de le trouver des pages d’écriture d’enquête des piles branlantes de papiers de suppositions de ratures d’inventions chercher qui et pourquoi, tout ça sous un petit chapeau brodé d’un volant usé qui ombrage un visage rond, c’est moi le bébé silencieux et adulte devant mon bureau noir toujours silencieuse mais les deux enceintes crient comme jamais tu n’entendras plus crier et je suis sourde de ces cris de dedans ces cris de grotte à l’intérieur de moi ce fond que je creuse où je descends dès que je m’assois devant ce bureau et que mine de rien la photographie découpe son petit rectangle précis dans mes sens, trouble ma raison et que je monte encore un peu le volume pour ne pas entendre mes frères ma sœur et ce bébé qui va passer des décennies à réclamer un mot vrai un mot juste, alors je soulève le dessous des affaires et portée sur les mots j’étripe les non-dits écorche les mensonges ouvre la fenêtre et balance sur les passants les peaux écorchées lourdes de sang caillé, ça leur tombe dessus et s’ils lèvent la tête ils voient la fille collée à sa fenêtre les jambes écartés la main va et vient.










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