La première page
Allez, vas-y
Vis-le ton rêve
Crache-le à la
gueule de la réalité
Ouvre les bras,
ouvre la bouche, ouvre les yeux
Tu ne te noies
pas : tu respires, peut-être pour la première fois. Ou la dernière.
Va arracher ton
rêve aux angoisses du quotidien, à la misère qui recouvre tout d’une poussière
irritante, grise et acide. Détache de tes dents aiguisées la viande du désir
sur l’os sec et dur, contondant et mortel, d’une réalité qui te révulse, de propositions
de vie qui te noient, de choix masochistes. Cou dans le collier, mains liées
derrière le dos, pieds entravés. Du cuir sur ta peau fragile, du caoutchouc
dans ta bouche sensible, un bandeau sur tes yeux curieux.
Dos au mur. Une
dernière volonté ? Une dernière cigarette ? Une dernière baise ?
Une dernière musique ? Un dernier luxe ?
C’est ça que tu
veux ?
Tu ne vas pas retenir
plus longtemps tes tripes fumantes et puantes, entre tes deux mains croisées
sur ton abdomen fendu.
Tous les jours,
exécutions sommaires, nettoyages ethnique, humiliations collectives, cauchemar
éveillé : ceux du haut, ceux du bas. Au bord, ceux d’une autre couleur.
Dans la norme, des monstruosités dont on se fait des colliers. Brandies sur des
piques, les têtes réduites de nos vices. Les libertés ont perdu leurs voyelles,
impossible à prononcer. J’en perds mon français, j’en perds mes français, j’en
perds mes dents, j’en perds la tête, j’ai perdu l’appétit, j’ai perdu le
sommeil, j’ai perdu ma joie de vivre, j’ai perdu ma femme, j’ai perdu mes
enfants, j’ai perdu mon boulot, j’ai perdu ma place, j’ai perdu mon logement,
j’ai perdu mes clés, j’ai perdu mon portable, j’ai perdu la voix, j’ai perdu
mon chemin, j’ai perdu le sens.
Je perds du
sang, je perds mon temps, je perds pied.
Bec & Ongles, Les Carnets du Dessert de Lune, 20111