La garde-folle
C’est que depuis le commencement
je suis du côté des malades et non des bien-portants. Ça rit autour de moi, Malade toi, mais non ! sauf les mauvais amants Malade toi,
mais oui ! La première interrogation au premier rendez-vous de
tout nouveau psy : Suis-je folle ? Les lectures, bon dieu des
rayonnages entiers de folles créatrices, de fous créateurs aussi, mais folles,
je les sais si bien : Frame, Zürn, Woolf, Plath, Barnes, Kusama, Santos, les isolées complètes Beck, Pizarnik, de
Bruckyère, Brontë, Dickinson, caractérielles Bourgeois, Arbus, Claudel, fragiles,
Woodman, Sarrazin, Leduc, asthmatiques : Roubaud, Pozzi, Mouraud
N’entrez ni dans ma chambre.
Ni dans la bibliothèque.
Tant de suicidées.
D’empêchées.
D’à-côtées.
J’écoute ceux qui ont grandi avec
moi et admire le chemin droit qu’ils ont emprunté et comme ils sont bien
arrivés, déjà ils sont arrivés. Si j’avais été du côté des bien-portants,
moi aussi la ligne droite, moi aussi l’argent chaque mois, moi aussi les
invitations les facilités. Mais chemins tortueux angles courbes fosses
crevasses grottes cabanes. Le largactil est dans mon armoire, pas dans la leur.
Hier tu me demandes le sujet de prochain livre, je l’exprime, tu réponds Tu vas encore par-là ?
Pourquoi toujours si près de la folie? De l’ineffable du difficile de l’enfermement. Soignéssoignants, je m’approche au plus près pour être certaine de ne pas y être conduite. Je connais je maitrise, voyez j’écris sur le sujet depuis toujours, je me documente, je peux tout vous dire de Charcot de Freud de l’hystérie de la Salpêtrière au 19e siècle de Bicêtre de Sainte-Anne de la schizophrénie de La Borde de l’architecture asilaire de la folie à deux de l’art brut du suicide des pathologies complexes et simples des lignes d’erre des traumatismes.
Je traîne là parce qu’on ne m’y
demande rien, surtout pas si je suis folle, aucun doigt pour me désigner comme
victime puisque j’agis, j’agis d’écrire, j’agis de chercher, j’agis de créer.
L’écriture ma garde-folle, l’écriture mon anti-camisole.
