Bons Baisers


La carte postale, ce rectangle de papier voyageur, nous apporte à travers le livre de Safia Belmenouar et Marc Combier des nouvelles du temps des colonies. Un temps de domination, de complexité et d’illusions.


C’est une bien étrange galerie que l’œil parcourt à la suite des cartes postales.
S’attachant à la représentation de la femme "indigène", les auteurs nous permettent, à travers les images comme à travers leurs analyses, d’appréhender la facette dominatrice et fantasmagorique des colonies. Ils identifient ce que furent la perception des femmes "indigènes" et leur représentation visuelle, à une époque convaincue par la grandeur de sa mission civilisatrice.

L’Empire se scindait en trois grandes conquêtes géographiques, et autant de conquêtes féminines. Des "types" de femmes, desquelles toute personnalité était peu à peu gommée afin de restituer au plus près les projections et désirs des colons. La Mauresque, la femme d’Afrique et la "congaï" d’Asie, autant d’individualité posée devant le décor logique de leur nationalité : le désert, la savane ou la plantation.


C’est l’homme, soldat, colon ou explorateur qui donne de ses nouvelles au dos de ces femmes "indigènes".
Ces femmes, qui sont-elles ?
A regarder le corps présent, le regard souvent détourné ou silencieusement plongé dans le nôtre, on ressent une intensité et une profondeur qui en disent long sur le gouffre qui les sépare des Occidentaux.

Aux images construites de femmes dénudées (cartes postales Scènes et types) répond une réalité de femmes voilées qui entretient le fantasme : soulever le voile et rencontrer la Shéhérazade des Mille et une nuits.
Cette construction de l'imaginaire érotique colonial repose donc sur un malentendu entretenu : l'invitation lascive des femmes représentées sur les photographies (seins nus et cigarette à la bouche) serait une pratique quotidienne et générale au Maghreb.
Cette idée largement véhiculée aboutit assez logiquement à une équation très simple qui consiste à faire de chaque femme "indigène" une prostituée potentielle.
L’Africaine sera nue et sauvage, la "congaï" pudique et soumise.

En produisant des images de femmes "indigènes" correspondant à un imaginaire érotique stéréotypé, les Occidentaux semblent surtout avoir créé des métaphores de leurs manques.

Le territoire des femmes leur appartient de toute éternité, leur pose ne signifie pas le partage. Qu’elles soient nues ou habillées, voilées ou dévoilées, la femme tient à distance ce grand colonisateur : l’œil du photographe, l’œil de l’homme blanc.


Bons baisers des colonies - Images de la femme dans la carte postale coloniale - Safia BELMENOUAR et Marc COMBIER - Editions Alternatives

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