Mon prince
Dans le
corps il y a un langage, le langage des brisures des brisés des trous des plis
des failles, le langage des contractures des contractions flexions
déchirements, la langue sourde assourdie. Le corps ploie plie se casse se
creuse il fait la grande courbe, à l’envers à l’endroit dos craqué ventre bombé
squelette arqué, il dit sur le sommet des chairs, au bout des doigts écartés au
creux des poings serrés. Il dit dans les yeux révulsés la salive cristallisée,
il dit aux commissures aux crêtes aux arêtes.
Le corps
parlant brutalement foré, rempli des cris d’autorité d’interdits de honte de
secrets, ce corps alourdi empêché, cet être autour duquel on a élevé des murs
des grilles des montagnes, forgés des serrures des nuits des ombres, cet
être-enfant qui tient sur ses épaules un lourd devoir de marbre, le devoir que
rien n’explose, que rien n’explose plus, il sait une seule parole atomisera
déchirera, cet être-enfant se taira au quotidien grandira son corps plombé de
mots imprononcés imprononçables, il fera un geste un autre geste un mouvement
qui est un mot une convulsion qui est une phrase une rixe qui est une histoire.
Son corps prend tous les risques, en silence il dira, torsions du buste nuque
brisée, la ponctuation des fuites des fugues des exils.
Corps réceptacle
du non-dit mon pauvre prince boite à ordures sous ta peau la langue court soulève
le derme hérisse les poils tire ta chair.
Pas danseur
pas acteur pas mime pas sourd-muet, mutique d’une naissance bruyante, les
soubresauts du corps accroché à l’hameçon du silence.