Cinéma
A douze ans
faire la pute je ne savais pas que ça s’appelait ainsi
S’appelait
ainsi sucer des queues attachées à des hommes au-dessus de moi
S’agenouiller
dans les jardins publics dans les halls d’immeubles
Ce que je
sais c’est le billet que je vais serrer dans ma main celle qui essuie ma bouche
et la salle noire où ensuite je m’assoie
Une putain
on devrait dire un putain quand c’est masculin un enfant qui rêve trop haut et
trop seul
C’est facile
comment ça marche, un seul regard et à genoux dans les jardins publics dans les
halls les passages étroits
Ils ne demandent
pas l’âge ils disent un seul mot au bout de leur queue qui parle dans ma bouche
L’argent de
poche coule entre mes lèvres ils remballent leur membre glissent le billet dans
ma main tendue
Me relever
aller le ventre vide habiter le fauteuil de la salle et sur l’écran ça commence
Une pipe une
séance devant moi ils jouent un jour ce sera moi
Moi qui
réaliserai mes rêves mettrai en scène les perdus les putains les héros les
poursuites
Combien de
piteux orgasmes entre mes dents pour laisser exploser le mien ?
Je ne compte
pas - le billet m’apprend dans l’obscure salle brûlée de films tout ce que je
dois savoir de la vie celle qui sera la mienne lorsque je serai grand
Lorsque je
serai grand un adulte de ce monde où nul n’hésite à tenir la tête d’un enfant
devant sa braguette contre un billet
A genoux
parfois je tourne ma tête vers le cinéma trois arrondissements plus loin si je
pouvais déjà y être
A genoux je
ferme les yeux – dans la salle je les ouvre grand
Ces pères
qui parlent à leurs fils je les écoute ce sont mes pères je suis le fils
Ces mères
qui parlent à leurs fils je les écoute ce sont mes mères je suis l’enfant
Plus tard
c’est sûr mes yeux toujours ouverts je regarderai sur l’écran mes films et
peut-être celui d’un enfant à genoux la bouche pleine de possibles.