La durée
Alix Cléo Roubaud, Quinze minutes
la nuit au rythme de la respiration, 1980
Massif des cyprès dans le paysage. Au creux de ton corps l’arbre
déployé de tes bronches. Paysage phénoménologique. De ta naissance aux départs,
aux cures et aux désespoirs, chercher ton souffle. Logique de ta respiration. Asthmée.
Les cyprès ont quitté le cimetière, se sont plantés à l’horizon de ta
vue, au bord du chemin qui sépare ta maison du monde. La crise arrive. Tu te
couches nue sur le sol de la pièce fraiche. Il fait chaud. Tu manques d’air. L’air
te manque. Depuis toujours il se refuse. La fenêtre grande ouverte. La nuit
devant. L’appareil, tu le poses sur ta poitrine. Sur ta peau. A même. Il te
prolonge, son œil ta bouche, ton œil sa bouche. Ton souffle ficelé soulève difficilement
tes seins. L’appareil en mouvement. Le paysage en mouvement. Toi immobile
couchée nue sur les dalles. Le prisme de l’asthme compose l’image. 15 minutes
d’ouverture. Ouvrir l’air. Ouvrir le paysage. Quinze minutes la nuit au rythme
de ta respiration. Paysage soufflé, pure sensation. La nature transformée par
ta maladie. Ta vie oscille, l’appareil oscille, ta poitrine fragile dicte.
L’image hérite de ton souffle. Le vent passe ses horizontales dans les cyprès.
L’air passe son dard vertical au creux de tes poumons. Toi, en équilibre à la
croisée des mondes. L’image est un schéma de ton corps. Elle dure.
Dans la chambre noire tu rendras le noir encore plus dense. Massif.
Depuis des années je contemple
cette photographie. Je vis près d’elle. Je compte tes respirations. Ses pointes
noires infatigables. J’élance mes mots à la poursuite des variations du souffle
déficient. Contourner l’étouffement. Bâtir les possibles. Écrire la durée. Ce que
l’on apprend à l’écoute du silence.