I’m not there
(c) Eric Pougeau
On pourrait essayer.
Ne rien dire de l’artiste, ne rien dire de l’homme, ne rien dire de l’enfant.
On pourrait essayer.
Regarder la camisole et bâillonner les mots.
On pourrait l’essayer, « Camisole pour enfant », taille 6 ans.
On pourrait l’essayer, « Camisole pour enfant », taille 6 ans.
On pourrait
simplement lire le titre, approcher d’un pas, admirer la broderie rouge du nom
sur l’encolure, l’assimiler aux étiquettes qui marquaient notre propre nom,
départ en colonie, départ de la maison, éloignement.
On pourrait croire
que les manches nouées façon camisole de force, camisole d’aliéné, ne sont rien
d’autres que le geste trop rapide, original –non, ne pas utiliser le mot
« insensé »- d’une mère pressée, d’un enfant désordonné.
On pourrait faire semblant,
rester neutre, sourire, ne pas se projeter dans la camisole amidonnée, n’y
attacher aucun souvenir, aucune interprétation, aucune élucubration ni
référence. Ne pas voir l’enfermement, la contrainte, l’exclusion, ne pas
imaginer quelle chair, quel corps, s’est tenu ici un jour, se tient ici
maintenant.
Toute psychose niée,
toute oppression balayée, on pourrait admirer le dépouillement monacal de cette
œuvre, sa présence aveugle, sa force muette. Respirer plus fort, à peine
conscient de notre liberté, respirer plus fort, l’orgueil d’être sorti de cette
camisole, presque indemne.
Ne pas vouloir en savoir plus, ne pas
vouloir être là, ne pas vouloir se confronter plus longtemps avec ces
insidieuses interrogations : notre nom n’est-il pas brodé ailleurs, ne
sommes-nous pas fichés, classés, répertoriés, dans d’autres systèmes, d’autres
évaluations ? ma liberté, est-elle factice, est-elle réelle? je suis qui,
je vais où, je courbe quelle échine, arrache quelle épine ?
Non, ne poser aucune question. Un dernier regard et puis abandonner la
« Camisole pour enfant, taille 6 ans », et retourner barboter dans
son bain quotidien.
Eric Pougeau exposera à Bruxelles : Salope ! et autres noms d'oiselles du 13.11 au 18.12.2015