Visite

A peine Francesca a t'elle pénétré dans la maison qu'une immense tristesse l'envahit. Elle ne la comprend pas immédiatement : les meubles sont à leur place, l'occupante aussi, rien ne bouge. Mais pourtant, il y a là quelque chose de nouveau, qui s'est infiltré, qui dégouline, qui lie les éléments de façon abjecte.
Sa mère trottine devant elle, pépie comme à l'accoutumée, voix et propos d'oiseau affamé. Elle trottine jusqu'à la cuisine : "Je te fais réchauffer un café." Pas une question, une affirmation. Et dans cette affirmation se niche la nouveauté.
Elle s'empare de la cafetière, la pose sur le feu, et l'odeur s'intensifie, cette odeur qui marque de son sceau d'étrangeté un familier usé. Odeur de café préparé plusieurs jours auparavant, densité noire et acre qui parle d'elle-même, qui crie l'absence de convives, de voisines qui seraient là "pour boire un petit café", qui gueule sa solitude, la fin des repas familiaux, des petits déjeuners bruyants, la cohue des départs à l'école; cette solitude dans laquelle Francesca l'a laissée, en grandissant, en quittant la maison.
Le café noir, obscur bloc de granit au fond de la cafetière, répand son odeur de mort à travers les pièces vides de la maison.
Francesca boit le café infect, se rassure en pensant que demain sa mère en fera un frais, 'au cas où', et qu'une journée au moins la maison embaumera avant de sombrer de nouveau dans l'oubli.

Toni Hafkenscheid, Ms Dijkstra


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