Nos Nuits patientes
C’est un rêve de gamin. Un gamin dont les parents
travaillaient la nuit. Toutes les nuits.
« Moi
aussi, quand je serai grand, j’habiterai la nuit, ce monde à l’envers,
mystérieux, effrayant, attirant. »
C’est le rêve d’un gamin abandonné toutes les nuits.
Devenu le
roi de la nuit.
Le MIN, son domaine de 20 hectares, habité par 1200 employés fantômes, traversé de kilomètres de hangars, de routes, d’obstacles, de parkings, d’abris.
« Ça va commencer ! »
Le gamin devenu adulte arpente son royaume, tourne à droite,
bifurque à gauche, disparait derrière les palettes de fruits, réapparait devant
le hangar à bananes, agite les bras : « Ça va commencer ! »
Il attend la fête, les lumières, le ballet des Fenwicks, les
saluts de ceux qui vendent, de ceux qui achètent. « Ici, ça vit tout le
temps ! » Des exclamations pour justifier l’abandon de l’enfance, des
promesses pour disculper les parents, des mirages pour tenir debout.
Les heures passent, minuit, une heure, deux heures. Le MIN
est toujours un fantôme, mais le grand gamin applaudit, et devant chaque
voiture, chaque cagette, chaque mouvement : « Ça va
commencer ! »
Trois heures, les lumières s’allument sur la scène déserte.
Le sol de la marée est glissant, bottes en plastique, tabliers rigides, mains
plongées dans la glace, oui, voilà, ça commence.
Grossistes à droite, revendeurs à gauche, les crayons
s’activent sur les carnets, bourse des fruits et légumes, des coquillages et
crustacés. Un calme glaçant empaqueté dans du polystyrène, planqué sous les
tonnes de melons, d’oignons, de fleurs. Une opulence muette observée chaque
nuit par les centaines de pigeons gris perchés sur les toits.
« Ça va commencer ! »
Toutes les nuits, espérer. Toutes les nuits, répéter. Toutes
les nuits, patienter.
Photo : Isabelle Vaillant - Texte : Perrine Le Querrec
Nos nuits au MIN (Marché d’Intérêt National) de Nantes - juillet 2011