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 Jeanne L’Étang, éditions Bruit blanc

            Tête à tête. Corps à corps. Degas et Jeanne. Degas tourmenté, furieux, agité. Il se plaint de ses contemporains, de leurs certitudes, de leur ignorance. Il se sait seul, il se sent seul. Son œil droit s’enfonce dans les ténèbres, ses troubles de la vision accentuent sa colère. Les flammes des bougies s’accrochent à sa barbe, à l’arête du nez, aux mains nues. Jeanne assise au bord du lit. Cheveux dénoués. Plusieurs chemises transparentes passées les unes sur les autres. Sur la première, les racines, sur la seconde, un tronc, sur la troisième, les branches, sur la quatrième, les feuilles. Sur le châle posé sur ses épaules, des oiseaux. Degas se plante devant Jeanne, ôte les oiseaux, les feuilles, les branches, le tronc, les racines. La chair se révèle, une terre devant laquelle Degas s’agenouille.
            Il allonge Jeanne sur la couverture tressée de losanges colorés. Aligne sur le jeté de lit sa palette de pastels. En saisit un. Vert. L’écrase sur la peau de Jeanne. La sillonne. Rouge. La souligne, la recouvre de lignes verticales, du cou aux pieds, des hanches aux chevilles, du front aux mains. Jaune. La barre d’horizontales, épaules, ventre, cuisses. Noir. Creuse les ombres. Orange. Colore les creux. Violet. Rehausse les lignes. Rose. Reprend les courbes, presse la craie, mélange les couleurs. Les flammes luisent sur Jeanne en pigments. Il rassemble les cheveux noirs, les tord et les remonte sur le haut de la tête. Des tentacules s’échappent sur l’oreiller. Brun. Brosse les contours. Ocre. Effrange les lignes. Blanc. Efface les ruptures. 
- Je vais poser les accents. 
            Bleu. Intonations.
- Que d’incertitudes… 
            Les pastels roulent en bas du lit. Degas immobile devant son tableau. Observe. La flamme qui baisse, les ombres qui s’enfoncent, Jeanne qui respire, son œuvre qui palpite.






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