page 56
Le Plancher, éditions Les Doigts dans la prose
Les
bois s’approchent plus près de Paule et de Jeannot, l’ombre les avale. Ils ont
emporté avec eux tout un attirail. Cornes de vache polies. Pattes de lapins
enfilées en collier. Fusil. Garde-robe de Paule. Cafetière pleine et tasses de
fer blanc. Képi militaire. Pancartes de carton, marquées de lettres capitales
blanches °JUGE° °RETINE° °DIABLE °
°ŒIL° °MACHINE° °CERVEAU°
°FAMILLE° °TRUCAGE° °HITLER°. Seau de
farine mélangée d’eau. Fourche. Poupons de celluloïd. Sacs de jute percés de
trous. Os de bestiaux. Dents. Ficelles. Cordes. Ils
sont inspirés. Communiquent par télépathie. Se débarrassent de leurs haillons.
Pendent cordes aux branches. Attachent colliers aux cous. Pattes de lapins
griffent la peau. Paule fixe deux cornes sur les cheveux longs de Jeannot. Avec
ficelle qui serre sous le menton. Mains pleines de boue, s’enduisent la peau.
Corps de lutteurs. Boivent nus une tasse du café froid. Percent les cartons,
passent ficelles dans trous. Ils sont
concentrés. Efficaces. Poupons enduits de blanc : eau et farine. Colle sur
laquelle se plaque sac de jute perforé. Poupons masqués. Autour du cou de
Mortné, pancarte JUGE, autour de celui de L’EnfantX ŒIL. Cinq cordes épaisses pendent sur cinq arbres différents.
Territoire du procès à venir. Jeannot pose képi sur tête de Paule. Enfile la
robe aux tons d’automne. Paule hésite, choisit le châle ajouré. S’enroule
dedans. Tétons sortent par les trous. Jeannot ne cille pas. Ils sont pressés.
Ils sont concentrés. Jeannot plante la fourche, dégage le périmètre sous les
cinq arbres. Terre retournée. Poupons assis jambes écartées. Paule baisse la
tête, Jeannot lui passe la pancarte CERVEAU autour du cou. Paule
prend RETINE, c’est pour Jeannot. Jeannot lisse sa robe, centre
la pancarte, ramasse son fusil. Paule ajuste le képi et passe le collier de
pattes de lapins sur la pancarte. Dans sa main une poignée de dents. Les jette
en l’air au signal de Jeannot. Tous les quatre regardent les dents retomber au
sol. Se penchent. Lisent. Le procès peut commencer. Ils ont une responsabilité.
Ils rejouent les scènes. °MACHINE° et °DIABLE° sont
fichés dans les cordes flottantes. Aussi °FAMILLE° °TRUCAGE° °HITLER°. Ces cinq-là sont pendus. Attaqués
par des coups de fourche s’ils bougent. Mortné et L’EnfantX lisent les actes
d’accusation. Paule écoute, réfléchit. Jeannot empêche les autres de fuir, ne
les lâche pas de l’œil durant toute la lecture. Paule et Jeannot boivent une
autre tasse de café froid. L’EnfantX et Mortné se reposent un peu. Jeannot doit
frapper sur les arbres avec le canon du fusil pour calmer les cinq qui se
balancent et s’agitent. Le procès s’emballe. Jeannot et Paule s’emballent.
Verdict rendu. Cinq balles perforent cinq pancartes pendues. Mortné et
L’EnfantX empalés sur les dents de la fourche. Feu allumé, danse débridée, poupons cloquent, masques de toiles fondent sur visages, feu
alimenté d’os, fémurs, côtes, vertèbres, sifflent se fendent explosent. Paule
et Jeannot jettent pancartes et colliers au milieu du brasier °JUGE° °RETINE° °DIABLE° °ŒIL° °MACHINE° °CERVEAU° °FAMILLE° °TRUCAGE° °HITLER° crépitent, se racornissent, disparaissent. Jeannot et
Paule dans la cendre jusqu’aux mollets.
Paix
aux cendres.