Il y aurait dans la cire
Le cœur gonflé, le cœur plein la poitrine qui
déforme la cage thoracique qui bat qui bat qui cogne
Le cœur à fleur de peau
Je retrouve Berlinde de Bruyckere
Il y aurait dans ces corps
Il y aurait la position
Il y aurait l’enfermé
Il y aurait la vitrine
Il y aurait la double exposition - l’homme l’animal le cadavre l’œuvre l’œil de l’artiste notre œil l’œil privé l’œil public
Il y aurait la carcasse ouverte
Il y aurait dans les os des mystères
Il y aurait les arcs
Il y aurait dans l’évidement
Il y aurait dans le flux le sang l’appui
Il y aurait les tissus usés tachés
Sur lesquels reposent le fragment le dépecé le transparent le à peine le double dans l’hybridation
l’accouplement
L’œil glisse sur l’huile de la cire. Glisse
dérape. Quelle distance ? Tout près voir à travers les réseaux la matière.
La carcasse humaine ses plis ses veines ses blessures.
Ses possibilités.
Tout loin la vitrine la beauté le grand geste.
Les scènes silencieuses dans les châsses de verre. Les reliques sacrées. La
cire fondue des prières des vœux. Des miracles. La solitude de la chair son
drame ses jeux.
Il y a des dessins éclaboussés des chevelures de
sang des aquarelles compactes.
Des dessins au crayon, mutations, union
homme-animal phallus dressé bois des cornes plantés d’eux-mêmes dans sa propre
chair.
Comment pousse l’homme ?
Selon quels principes quelles forces quelle
logique quel schéma ?
L’animal le cheval finalement sa peau sa forme
sa force. Le cheval tient tout entier tout replié dans la vitrine ouverte.
Respirez.
Marchez.
Des silhouettes de tissus ; des silhouettes
fertiles avec des bourgeons des moignons; gros tissus gonflés de silhouettes de
chair d’art comme Dorothea Tanning, Louise Bourgeois aussi, le tout bien
rapiécés bien réparés bien installés sur des couvertures qui donnent envie de
pleurer.
Pleurer. Quand on savait encore. Quand on
reconnaissait.
Posés sur des meubles voilà les corps rangés. Dérangés.
Des occupants qui prennent place, prennent toute la place. Alors nous sommes
chez nous et puis sur le buffet familial sur l’armoire d’héritage sur la table
à manger, un corps un semblant de corps un déformé une masse, sur une
couverture une pile de couvertures, un corps tordu qui souffre au milieu de la
pièce de la maison sur le buffet familial sur l’armoire la table à manger
l’héritage la famille. Au milieu de la famille.
Suspendus. Des corps empalés.
Des mats des drapeaux
Des dépouilles de peaux
Des potences
Des étendards
Des tombées de chair
Des tombeaux à ciel ouvert
Flottent sans vie sans vent
Réfugiés là-haut, suspendus entre les mondes,
intouchables inatteignables. Le suspens empêche la chute.
Je m’approche. Le cheval aussi est suspendu.
Plus bas. Plus près. J’entends la bête je voudrais rentrer dans le corps de
l’animal caresser le cheval mort frotter mes lèvres au ras. Moi devenir animal.
Je reste immobile, lui aussi immobile ses kilos les miens, Francis Bacon murmure « «Nous sommes de la viande, nous sommes des carcasses en puissance. Si je vais chez le boucher, je trouve toujours surprenant de ne pas être là, à la place de l'animal.»
Je reste immobile, lui aussi immobile ses kilos les miens, Francis Bacon murmure « «Nous sommes de la viande, nous sommes des carcasses en puissance. Si je vais chez le boucher, je trouve toujours surprenant de ne pas être là, à la place de l'animal.»
Se réparer.
J’ai la tête sur mon cou je la sens de plus en
plus lourde ; aucune œuvre n’a de tête, de visage. Pas une pas un. Sauf
une série de peintures, têtes noires yeux brûlés crevés rouges aveugles. Trous.
J’ai une tête deux yeux ; sans la tête on
peut dire ce qu’on veut on peut faire ce qu’on veut le cadavre est anonyme le
corps est anonyme, tout est séparé, ruines, ruines et métamorphoses, je peux
mettre mon visage au-dessus et au bout de chaque extrémité humaine ou animale
ou végétale, me relever brusquement, contourner les lois, inverser la donne,
conjurer les forces.
L’architecture vivante des corps est
magnificence.
Les métamorphoses se multiplient, crin crinière
licol cire couverture bras chair longes.
La cire au crochet
Les pointes menaçantes
Le deuil figé
Sa réincarnation bleutée
Les pansements les bandages
Rouges comme sang
Les formes qui jamais ne cessent de se perforer
de se pénétrer de s’exposer
Le silence que cela suppose
Le silence que ceux-là imposent
Les forêts enfermées les artères du bois où
coule mon sang
Les bois entravés
« CRIPPLEWOOD », pièce centrale.
Quand le bois sera chair
Quand les forêts seront d’os
Quand le cheval se couchera
Quand les prothèses les attelles
Quand les blessés les blessures
Quand nous serons embaumés
Quand nous serons transformés
Au sortir le monde est le même
Pas moi
Berlinde De Bruyckere | Sculptures &
Drawings 2000 - 2014
Jusqu’au
15.02.2015
Jan Hoetplein 1 - 9000 Gent