SALLE Y

Unica Zürn, 1966

 Dans la réserve des livres rares on ne peut toucher les livres. Ils viennent à vous entre des mains gantées de blanc. Deux coussins de velours cramoisi sont déroulés, le livre est placé au creux, enfant malade, enfant fragile. Un serpent de velours vert maintient les pages ouvertes. Le livre s’offre alors. La tête tordue en angles insolites pour parcourir les pages, Unica tu es là.

UNICA ZÜRN : Oracles et spectacles, quatorze poèmes-anagrammes et huit eaux fortes. Frontispice et post-scriptum de Hans Bellmer
In-fol. (32 cm), 47 p., ill. et suite de pl. sur japon.

Le frontispice de Hans Bellmer damier de la vie où se dresse un insecte à longues élytres nouées sur les cases noires et blanches, abîme d’échiquier, à toi de jouer.
Je te lis en allemand, je compte les lettres des anagrammes murmure les mots sans les comprendre ça chante, ça chante dans ta langue. Parfois les titres tu les as écrits en français, te servant des lettres pour recomposer en allemand les échos, les chaos de la phrase, son anatomie.
« Les draps de lit à l’agonie »
« Dans les bois d’Ermenonville »
Entre chaque poème, sensuelles morsures dans le papier, les eaux-fortes. Je tourne une page, retiens un cri d’admiration. Je découvre encore de toi.

Le courant emporte ton trait
Il dilue les lignes les ondule
Drapeaux troués d’yeux flottent au mercure
Unica dresseuse de lignes, les corps chantent les anneaux à la mue se révèlent.
Tu changes l’encre des corps en vision
Quelle houle sous les branches !
Les parures les coiffes les ornements les couvertures quand soudain la ligne d’un visage d’un fragment de nu
Nu le trait
Nu Unica
Totems enflammés érigés de la terre de tes mains
Je compte ici sept visages
Animaux humains mythologies
L’alchimie du dessin ses transformations
MIRACLES
Tordus noués un geyser de dits imbriqués
Criblés d’yeux
Et les anneaux des serpents rythment
La cavalcade effrénée vers le sommet
Le corps central est une ligne engrossée
Enfante des profils deux fois voyants

Tandis que la surface s’organise et se densifie – tête ventrale souriante
Double têtes au sommet ventre ouvert du poisson
Ecailles à recouvrir ta page
Tandis que deux bras poussent en algues accrochées aux rochers des visages
Des élans de varech percent par le corps noueux
Vigoureux de l’animal marin viril dragon regarde-moi
Tandis que vers la droite vers la gauche l’arbre aux écailles
Œil fruit oiseaux visages dans une bourrasque de remous déborde
De la page vers l’infini où tu ressuscites
Le rythme de la plume en traits fins remplit et dévide – flux – marée – les herbes empoisonnées
Échafaudage de ligne entrelacement de nœuds
ORACLES des lettres ta ligne phrase écrit ton corps improbable

Dans mon corps pas des os
Mais une colonne hippocampe vertébral
Sommée de Janus trois visages au cerveau
Dans Unica le corps long le corps lent le corps mou
Soutient le crâne œil inquiet en arrière
TOUTE
Mes cheveux flammes passées à la traîne
Le grand corps tronc épais une racine
Unique plonge dans mon ventre
Organe principal perles noires perles blanches
La robe si précieuse
Il déplie sa nageoire merveilleuse il déploie son bras invisible le cœur lie, c’est le rendez-vous
Des mystères des secrets

Deux crânes narines coquilles oreilles bijoutées
Petit buste cerclé tétons dressés
Sourire en moustache
Pourlécheuse de vie
Un gros visage attaque par le bas de la feuille
Voudrait apparaître
Mais voit qui vient les sauver !
L’oiseau du Paradis crêtes déployées ses ailes armées de plumes le bec en deux serpents
Aux extrémités plongées dans un sang d’encre
Il repose de ses serres à trois dents
Une patte fléchie pensée vagabonde
Une patte raidie pensée reprise
Sur les deux
Crânes d’œufs narines en coquilles de nautilus pour un voyage vers personne

Des montagnes de visages – tu ne sais même pas comment ça tient – ces bourgeons ces nœuds à même la chair – la ligne extérieure contient mes facettes mes mille sourires mes inconnues mes reflets mes échappées mes merveilleuses mes sorcières mes anéanties mes effacées – les lignes d’yeux les griffes d’encre les fentes vierges ornementées –
Cohue
Profusion
Puis des chutes des noyades
Puis des déviations des occlusions
Les nez flairent les aubes
Je compte quarante yeux paires cyclopes anus paupières toutes bouches closes qui sait se tait
ABONDANCE BLANCHE
Traits jetés dans la mêlée lentement un à un personnifié emboité raccordé

ABONDANCE NOIRE
S’est rétréci le corps
S’est noirci
Comme brûlé charbon
Visages calcifiés
Tronc encore debout
Bourgeons broyés
Les visages se resserrent
Dans les motifs
L’œil toujours monte
Escalade le corps
Il cyclope au sommet
Vigie
Des lignes t’échappent
Quelques visages encore
Aux yeux creux
Des creux noirs


C’est le dernier dessin















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