Le prix



             Je vous le dis avant même que vous ne me remettiez ce prix : je vous le dis, vous le répète, vous l’écris. Je refuserai ce prix, je refuserai les honneurs, les discours, les effusions, les méconnaissances. Je resterai dans cette ignorance, ce dépeuplement de mon œuvre. Je croupirai dans les geôles de mon écriture, je ne parcourrai pas les kilomètres d’effusions qui me mèneraient à vous.
Ainsi ce prix, tant attendu, cette reconnaissance, tant espérée, ce dénouement, tant imaginé, je le refuse, je le laisse entre vos mains, je lui tourne le dos, je lui montre ma nuque.
Parce que je ne ploierai pas, je dirais même que jamais je ne ploierai devant la perfide cérémonie, la clinquante mise en scène de votre amendement.
Comment avez-vous pu vous décider à me remettre aujourd’hui ce prix, alors que depuis maintenant vingt ans  je vois monter sur les planches vermoulues de vos scènes les mêmes auteurs épris d’eux-mêmes, les mêmes fonctionnaires, les éternels buveurs d’hypocrisie, tandis que je reste, moi, acculée à la solitude.
Pourtant, quels efforts ai-je tentés afin de de m’en extraire. Trains, autocars, villes enfouies sous les banderoles d’accueil,  Salons littéraires, Festivals et autres complots.
Une fois la belle répartition des rôles effectuée : organisateurs, bénévoles, libraires, auteurs, lecteurs, commence le grand jeu du masculin/féminin. Une femme pour trente hommes, la partie s’annonce réjouissante.
C’est une armée de phallus qui se lève, signe, parle et commente. Parfois, un individu se détache du groupe viril et s’approche : « Vous êtes auteur ? »
Fais le tour des tables mon gars, range ta lance dans son fourreau et ravale tes mots : nous sommes peu mais nous sommes là. Là et lasses. Il ne suffit pas de franchir la course de haies que représente l’édition de ses écrits, il faut encore, à chaque manifestation publique, constater la logique de meutes qui légifèrent les rapports auteur/auteure, écrivain/écrivaine.
            Pourtant, s’ils écrivent, c’est qu’ils lisent, qu’ils se cultivent, s’informent. Pourtant, s’ils lisent, se cultivent, s’informent, alors nous sommes face à une population éduquée, ouverte d’esprit, en route vers l’équilibre des sexes, tournant résolument le dos aux archaïsmes. Non ! Non ! Erreur sur l’auteur ! Sur toute la ligne, sur toutes les lignes noircies de leurs ouvrages !
La petite femelle cramponnée à son crayon butte sur leur caractère machiste, leur suffisance et le poids de leur nombre.
           Devrions-nous donc systématiquement nous réfugier dans les Salons féminins, féministes, la littérature « spéciale femmes » ? Cela serait nous priver de ce salutaire et répétitif électrochoc.
            Nous ne lâcherons pas nos plumes, mot après mot, je continuerai de construire, avec les autres, une écriture féminine.
            Et c’est pourquoi, Messieurs, alors qu’aujourd’hui vous me sacrez Superstar du livre, je vous tourne le dos et m’en vais.






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