Palermo Palermo
Pina Bausch photographed by © Gert Weigelt.
Un mur occupe la scène. Dressé devant nous, massif, silencieux. Quelques
secondes, souffle retenu, puis l’écroulement, le fracas de bruit et de
poussière. Le mur tombé, les frontières renversées, la vie commence.
Les scènes se répètent, s’échappent, se percutent. Les corps se
répètent, s’échappent, se percutent. Corps bandés, corps couchés, corps fragiles
qu’on regonfle, bouche à bouche. Des corps palpés, exhibés. Déformer le corps à
coups de prothèses, de vêtements mal placés. Perturber.
Le minuscule
met en branle une déferlante de poésie. Les danseurs se succèdent, mains en
coupe, pour recueillir l’eau qui coule entre leurs mains. C’est beau. C’est
vital.
L’un salue
sans avoir rien fait, il salue profondément, magnifiquement. Pour être apparu, tenant
dans ses bras un bouquet de bois mort.
Chaque image est idée. Chaque mouvement est histoire. Chaque geste est origine.
Le mur à terre devient obstacle à enjamber, à contourner. Surface où
s’assoir, où manger. Relief à explorer, à bouger. Sur ce plan un danseur
dispose un nappe, une assiette blanche, un verre, des couverts : la table
est dressé pour le chien affamé qui déguste et repart.
En une
démarche, exprimer. Une femme en talons haut, l’autre pieds nus, la première
promène la seconde, l’histoire circule.
Des lèvres
humectées, du sucre collé, un baiser, une pièce jetée, une fontaine de pièces,
un fer à repasser, une robe lissée, un bras plâtré, un plâtre escamoté, un
mollet dénudé, une entrée, un départ, un ballet, un surréalisme, un expressionnisme,
un rêve.
Nous sommes au creux d’un rêve.
Avaler sa bague de mariée d’une gorgée de café. Du fond de la scène un
couple en blanc, d’autres sur les côtés, des apparitions multiples, une musique
qui dézingue, des corps ressorts, qu’on pose, dépose, compose, distend,
renverse, retourne, déplace. Des murs où l’on grimpe à un, puis deux, puis
trois, puis dix. Multiplication des membres, des essais, des jetés, des figures,
des portés, des aller-retour, des allées-venues. Une femme allongée sur la
pointe des pieds de six hommes cérémonieusement déplacée. Et notre sourire qui
n’en finit pas de grandir.
Tout est danse. Une torsion du poignet, une chevelure rejetée, une bouche
rouge.
Pendant qu’un couple parade-amoureuse, un homme empile des téléviseurs
et regarde neige et images en cascades avant de disparaître dans un vestiaire
métallique, pour en ressortir un peu plus tard, dans un autre espace-temps,
dans une autre image-mouvement, avec un jupon de dentelle à poser sur le
dossier de sa chaise.
Qu’est-ce qui nous apparait et qu’est-ce qui nous échappe ?
Il y a du Sud des femmes en noir des hommes en costumes des musiques
chaudes des disputes des soumissions des veuves, du sacré, des défis. Des
femmes furieuses, des amoureuses, qui tout le long appellent un homme, ce
qu’elles demandent, ce qu’elles refusent, ce qu’elles implorent, ce qu’elles
rejettent. Contredisent. Ordonnent. Frappent. Sont frappées. Questionnent.
Souffrent. Séduisent.
Un homme en
peignoir rouge découpe finement sa chair avant de la cuire sur un fer à
repasser et de s’en régaler. De la natation dans un filet d’eau s’échappant
d’une bouteille en plastique. Des journaux qui flambent, des marionnettes qui sont
des corps, des hommes en charcuterie, des semailles de déchets.
De la sincérité. Mille sortilèges. Mille inventions. Des instants. Des
éternités. Des sous-entendus. Douze filles poiriers. Une entreprise de
séduction tête en bas. L’abondance. Les références. Une femme aux seins en
pommes rouges croquées puis jonglées. L’homme du vestiaire devenue femme nue
maquillée s’éventant avec deux éventails de plume. Quatre éventails. Six
éventails. Des contrepoints d’exubérance, des hystéries, des rythmes. De femme
fatale il devient Statue de la Liberté puis Adam et Eve. A lui tout seul.
Le mur au sol se démonte, l’un après l’autre les danseurs se
remplacent, tout est de plus en plus étrangement instable.
Transe générale.
Musiques de toutes origines comme les danseurs comme le langage comme
la joie. C’est une phrase qui n’en finit pas, un rêve dont on ne sort pas, une
puissance sans cesse déferlante, une création perpétuelle. A tous les endroits.
A chaque instant. Dans chaque parcelle de notre corps. A chaque angle de vue. Pour
l’éternité.
Tanztheater
Wuppertal | Pina Bausch
Palermo Palermo
Jusqu’au 5 juillet 2014
Théâtre de
la Ville
2 Place du
Châtelet
75004 Paris