Settembre, ottobre
La fille est juste un pas devant
moi. Elle retient la lourde porte soupirante, m’ouvre le passage dans le grand
confessionnal de la bibliothèque.
« Merci », nos yeux se rencontrent, ou plutôt se heurtent.
Son regard s’accroche ; elle s’approche tout près de moi, commence alors
un flux de paroles murmurées, je ne comprends rien, je tends l’oreille, baisse
la tête, elle se colle encore un peu plus près, nos deux têtes penchées, son
front soucieux, et les mots, les mots, elle est italienne, petite, maigre, très
jeune, habillée de noir. Cela elle ne le dit pas, elle le parle du bout de son
corps, de ses arêtes et de ses angles, de sa voix continue, cascade italienne,
chuchotée, un instant je ferme les yeux, je suis bien, là, près d’elle qui
joint et serre ses mains convulsivement, se noie dans l’urgence à parler. Je
comprends « settembre, ottobre », je comprends un problème
d’inscription, un choix crucial de date
« settembre, ottobre ? », de l’interrogation, du doute, une
supplique, je dois trancher, elle passe d’un de ses pieds menu à l’autre, nous
ne marchons plus depuis le début de sa prière, pleinement immobiles, elle
rayonne d’intensité, des crêtes aiguisées de sons percent parfois sa litanie,
derrière nous la lourde porte chuinte à chaque nouvelle entrée, nous sommes
frôlées, elle n’en sait rien, elle est toute entière contenue dans ces deux
mots « settembre, ottobre ? », elle est pressée, elle est
urgence, ses mots sont le brasier où sifflent et explosent ses os, squelette à
fleur de peau, questions vitales, nous sommes sur le milieu de la pente de
cotte de maille, angle à 10°, ses jambes gainées de noires deux serpents, elle
se cramponne sur la pente, elle pourrait tomber, nous pourrions tomber, elle en
noir, moi en blanc, elle confessante, pénitente, moi hasard attentif, sa cage
thoracique striée d’os se soulève et se rabaisse follement, les mots follement,
ce doute, elle lève des yeux noirs vers moi, s’arrête enfin.
Je tranche :
- Ottobre.
Un sourire. Un sourire découpe son visage en lumière, ses épaules
s’affaissent, le corps cesse son mouvement, ce sourire, son regard qui s’élève,
ses cheveux qui se mettent à briller et la grande bibliothèque qui réapparait,
les murs de verre soulignent son bonheur, la forêt, quadrilatère vivant de
nouveau, agité, sourd et bruissant ; elle plante ses yeux dans les miens,
hoche la tête, son sourire monte et descend, nous ne nous touchons pas mais
c’est comme si elle prenait mon bras, c’est comme si nous partions en
promenade, tout problème réglé, tout souci balayé, elle ouvre la marche, arrive
au bas de la pente, commence à s’avancer sur la moquette rouge, gracile ligne
noire, elle se reflète à peine dans les parois de verre, je respire mieux moi
aussi, et puis soudain elle s’arrête net, je suis à sa hauteur, et la
confession reprend, rapide, des mots comme des pierres, lapidation muette, il
reste un détail, maintenant que j’ai compris son rythme je saisis à mi-voix ses
mi-mots crachés à voix basse, la lettre, la lettre au direttore, celle à
laquelle il n’a pas répondu, peut-elle la renvoyer ? Je ne lui laisse pas
le temps de disparaitre de nouveau derrière sa muraille de doutes :
-Si, certo.
Elle redresse la tête, son
dernier mot coupé en deux, son sourire entier, son étonnement en me regardant,
elle se félicite, je le sens, de m’avoir choisie, nous esquissons un geste de
la main, je rentre là, en salle N, elle continue vers une autre salle, plane
au-dessus de la moquette rouge.