Il penche
Park Avenue, New York - 1959
Je l’aime il penche
Chaque image chaque
vision, bascule ligne de fuite son point d’ancrage c’est la verticale, pour
notre œil obligé à l’horizontal depuis toujours, c’est une déroute, un détour,
une nouveauté, un déséquilibre
Je l’aime, il penche
Sur les centaines d’images
ici exposées, les milliers non développées, les milliers qu’il a capturées, des
regards des vitesses des attitudes, des humanités. Je l’écoute parler, pieds
sur le bureau, chaise renversée, c’est un ogre, il rit, il minimise, il s’amuse.
Il se balance, s’en balance, des théories, des concepts, des honneurs, des obligations,
des statuts. Il photographie sans règle sans confort sans rien pour l’arrêter
C’est un ogre
Et l’Amérique entière est
dévorée. Toutes conditions et classes sociales mêlées, il regarde il appuie il
saisit.
Il m’entraine
Dans une course à travers
les villes les paysages les décennies. Jamais je n’ai ressenti d’aussi près les
particularités de chacun, jamais je ne me suis sentie si proche des
individualités, jamais nul n’avait si simplement révélé l’étrangeté humaine.
Je l’aime, il penche
Il penche les lignes
Il penche les raisons
Il penche les visions
Il penche les
perspectives
Tout s’écoule se déroule
déboule
Le cœur bat plus fort les
yeux s’ouvrent plus grand, Garry Winogrand je fais le trottoir avec toi je
roule à tes côtés je marche je bois je pense je ris je danse ; il y a plus
de vie dans une de ses images que dans d’autres, chefs-d’œuvre, cadrées serrées
comme sous-titrées sur-titrées, où l’on nous conduit fait accompli et
admiration sans respirer et puis sans même oser.
C’est tout autre chose
ici. Cet élan cet hénaurme cette quête. En passant, mine de rien, il déclare « vouloir
disparaître ». Mon oreille n’est pas sourde, je l’entends encore tandis
que je regarde les 1000 visages le chaos urbain, tandis que je traverse le flux
Winogrand, cette foule ces courses cette prolifération qui est tentative, tentative
d’approcher de saisir de comprendre de montrer tous et chacun avant la fin l’effondrement.
Son œil est à distance
exacte de la sauvagerie, des uns des autres, du singe dans la voiture du renard
sur les épaules des seins nus des trottoirs luisants des cowboys sur la pointe
des brume de tours des rires à pleines dents des vies à pleines dents des morts
à pleine dents
Je l’aime, il penche
Garry Winogrand, Jeu de Paume, jusqu'au 8 février 2015