Entre leurs mains, la terre...
Devait sortir un livre, un livre magnifique, bruissant de créateurs, bruyant de créatures : Entre leurs mains ... la terre
Nous étions beaucoup à avoir répondu "oui" pour écrire sur ces œuvres.
Des autorités malveillantes ont sabordé ce livre de mémoire.
J'en reproduis ici le texte d'introduction :
Au FAM « Le
Lauragais » à Mons ADAPEI / AGAPEI 31, un lieu de mémoire créé en 1995, à
l’initiative de Jacqueline Savy, expose et conserve des œuvres confiées par
leurs auteurs pour y figurer.
Ils offrent
ainsi au partage des regards certains de leurs travaux réalisés à « L’Atelier
Terre ».
Un partage
qu’ils vous proposent maintenant au travers de ce livre.
La terre
proposée au modelage dans l’Atelier Terre est un matériau très particulier qui
mobilise immédiatement toute la gamme de la sensorialité tactile. A son
contact, les mains retrouvent des
sensations oubliées, des souvenirs parfois, et la terre s’anime, répond, comme
« vivante ».
Elle offre
au sujet, au fur et à mesure de son appropriation, un support projectif
privilégié.
Chaque séance d’atelier est un parcours, accueilli, accompagné par le regard et les interventions de l’art-thérapeute : impressions fugitives, allers et retours de l’informe vers la forme. Esquisse, touche, formes en sursis - modifiables jusqu’au moment où elles s’imposent.
Chaque séance d’atelier est un parcours, accueilli, accompagné par le regard et les interventions de l’art-thérapeute : impressions fugitives, allers et retours de l’informe vers la forme. Esquisse, touche, formes en sursis - modifiables jusqu’au moment où elles s’imposent.
Moment de
partage dans l’atelier où chacun alors lève les yeux et regarde. Un objet est
né, fruit d’une élaboration psychique qui a trouvé la forme adéquate au
ressenti intérieur. Et tous autour y reconnaissent la marque du sujet : son
style, reconnaissable entre tous.
D’objets en
objets, un travail s’opère pour atteindre une série de représentations et la
mise en commun des objets créés dans le groupe sera source de reconnaissance
réciproque et d’échanges – au minimum de regards croisés.
L’art-thérapeute
est un passeur qui ne préjuge pas de la destination : il en est le miroir structurant.
L’objet créé est un pas au-delà de l’objet précédent et anticipe le suivant. Les «
solutions plastiques » inventées par chaque sujet sont des trouvailles qui sont
autant de modèles intérieurs de sa capacité à «trouver» des solutions, à « se »
construire.
Mais
l’art-thérapeute, garant de la permanence de son attention à tous ceux qu’il a rencontrés,
est aussi un gardien de la mémoire du lieu : par objets interposés, il conserve
la trace de ceux qui sont venus et ont fait ce voyage dans l’intime jusqu’à en
trouver une expression partageable. Traces vivantes qui ouvrent une porte sur
l’imaginaire de quelqu’un. Traces
recueillies, conservées dans un espace dédié : l’écrin qui les protègent de
l’oubli.
Ainsi le
lieu de mémoire conserve et expose des travaux qui ont été choisis par leurs
auteurs pour les offrir en partage aux nouveaux arrivants ou aux visiteurs.
On entre ici
dans un lieu chargé d’histoire : une histoire dont les acteurs ne sont pas
effacés des murs qui les ont entourés.
Au seuil de
l’atelier, leurs objets témoignent ... et « accueillent » eux aussi, tissant
les liens qui unissent les regards au travers du temps.
Jacqueline
SAVY
Hélène
Blasco, sans titre, argile modelée - vers 2000 - (20 x 12 x7)
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Une terre à soi
Des corps de
terre, des mots de terre, des bêtes des humains des visions. Des insolites, des
nuances. Des précisions. Il y a des choses à dire, à montrer. Le langage des
mains façonne les flancs de la pensée.
On pourrait
sans fin malaxer déformer
Assembler
les souvenirs
Pétrir la
pâte à rêves
Créer la
sensation
Réunir
rassembler répéter revenir repartir inventer trouver
Mouvement
incessant
Une image se
fige ; une pensée, une figure.
La pâte à
mot. La pâte à dire. Voilà que surgissent les silhouettes dressées de Falquet,
les énigmes de Corrazini, les apparitions de Zaia et Blasco, de Villanet et
Dominguez.
Elles sont
nues ces formes, naïves et neuves ; elles sont naissantes, justes arrivées
de pensées anciennes, une gestation longue d’années, des gestes inventés à
l’instant. Ici on étire le temps. On travaille la durée. On conjugue matière et
sensation. On disparaît en laissant apparaître l’autre, une part indicible, un
joyau. L’opération demande du temps. Il en faut pour se sortir de là, dévoiler
ses invisibles nichés au creux des paumes, au creux de la tête.
Les vivants
Les deuils
Les rêves
Les certitudes
Ces œuvres
insaisissables. Mouvantes dans leur fixité. Chargées de promesses, surchargées
d’attente. Colliers, parures, bourgeonnement du torse, au cœur sensible, ça
parle de partout. Profondément perforés, les yeux la bouche les orifices les
possibilités. Faut parler. Faut respirer. Faut voir.
Faut les
voir, les croire, y croire.
Amalgame de
terre et de chair, du geste et du souffle ; chaque œuvre s’épanche. Parfois penche.
Murmure à nos yeux des histoires intimes.
Ils ont sans
doute été rêvés. Ils ont habités, habitent encore chaque créateur. Ils font
partie de la famille, la femme aux seins couronnés et à la tête trouée, celle
au creux du fond assise nue entre les bouteilles, les corps emboités, déboités,
les griffures, les jouissances.
Qu’est-ce
qu’on sort de la terre ? Que dévoile-t-on ? À quelle profondeur
faut-il creuser pour commencer à se déterrer ? Corrazini ne tient pas
debout, occupe la surface en ondulations houleuses, presque aquatiques, bulles
d’air et perforations, les vides et les pleins se régalent. Villanet s’est
échappé, il court à deux jambes, le corps ruisselant de couleurs. Le cheval de
Blasco fait face. Massif, un genou à terre il occupe un espace à sa dimension,
il s’impose.
A chaque
surgissement la sensualité du matériau nous attire dans ses rets. Ramassées,
compactes, denses et légères, les masses passées par les filtres de la peau et
du regard deviennent la proie de l’imaginaire, en prise avec la réalité du
matériau. Elles dansent à l’intérieur de leur contour. Elles modulent le chant
d’une langue intime.
Chaque œuvre
est une énigme posée en équilibre sur la terre, des échappées belles qui nous
invitent à l’ailleurs.
Perrine Le
Querrec, janvier 2015