Le froid
Le froid a raison de nous.
Qu’importe le nombre de pulls et d’écharpes dont nous nous couvrons. Le
froid est là, puissant, implacable.
Nos gestes se resserrent : la tasse bleue bouillante d’infusion au
romarin, nos mains refermées sur ses parois chaudes.
Nous cherchons une façade moins exposée pour fumer une cigarette,
consumée en deux rafales.
Le sol tremble sous nos pieds, les murs accusent les gifles répétées du
vent, les claques puissantes de l’océan. L’île est balayée, nous aussi. Nos dos
se courbent, nos têtes se baissent, mots maigres pour dire, encore et toujours
« j’ai froid. »
Une épaisse brume blanche s’accroche à la mer, illusions laiteuse qui
trimballe le vent triomphant.
La séance photo dans l’atmosphère glaciale du grenier, malgré les
mouvements fous de la tête et les envolées de talc et d’argile, nous laisse
insatisfaites.
Nous rêvons d’un bain brulant, entamons des chants à plein poumons pour
rire et faire la nique aux éléments.
Sous le vent, la mer pressée. L’eau comme un feu tout en flammes et
crépitements.
Les îles rocheuses percent son derme d’acier, arêtes noires couronnées de
brume.
Profiter d’une accalmie pour enfourcher le muret de pierre, un profil
vers la mer, l’autre vers notre île. Amazones chantantes, la pierre entre les
cuisses, nous chevauchons les vagues, nos fous-rires recouvrent la plainte
lancinante du vent.
Nous parlons vent, parlons du vent, parlons au vent, parlons contre le vent,
parlons dans le vent.
photographie : Isabelle Vaillant