Tempête de nuit



Le moment le plus délicat : se déshabiller pour nous engouffrer, jamais assez rapidement, dans nos vêtements humides de froid et de mer. Vite dans le lit, humide aussi ; longues minutes glaciales, nos corps raides, nos bouches gémissantes, et la pluie dehors se déchaine, frappe aux velux, martèle le toit ; nous sommes perchées en pleine tempête, le phare bouge, grince, résiste, le vent hurle dans l’escalier de pierre.
Un film nous réchauffe, éloigne la tempête. Nous sommes en Argentine, en noir et blanc cinémascope.
Soudain des bruits terrifiants montent vers nous. Aux aguets, silencieuses, anxieuses, nous attendons, souffle coupé. La nuit est propice aux terreurs. La tempête est propice aux naufrages. Les nuits de tempête forcent les portes de notre imagination la plus noire.
Murmures, discussions, décision : allumer une lanterne, s’extraire du duvet réchauffé, descendre les marches de pierre vers le bruit menaçant. Nous nous suivons de marche en marche, la lampe tendue en avant pour se défendre des ténèbres et des ennemis. Anita Conti nous transmet son courage.
La salle principale est sinistre, la lumière blafarde de la lanterne déniche le bruit visiteur : c’est l’eau qui entre à grands filets par la porte principale.
Nous profitons de ce moment pour passer dans la cuisine et faire le plein de nourriture : gâteaux, chocolat, crêpes, céleri, confiture. A manger là-haut, dans l’œil de la tempête.
Nous mangeons tout le temps, nous n’avons jamais autant mangé que depuis notre arrivée sur l’ile, le poids de la nourriture nous retient aux rochers, nous devons sans cesse nous lester pour résister à la force et à l’immensité.
Cet océan inégalé, et nous face à lui.

images : Isabelle Vaillant




 

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